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Débat sur le nexus à l’IHEID avec, de gauche à droite, Jacques Forster, Derek Müller, Robert Messe, Dominique Rossier et Liliana Soler-Gomez. ©David Wagnières

Plus de 400 personnes ont assisté - sur place ou en ligne depuis la Suisse, l'Afrique et l'Amérique latine - à la conférence-débat organisée le 24 mai 2022 par la FGC, en partenariat avec l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), sur le thème des nouvelles frontières entre coopération au développement et action humanitaire. Dans l'auditorium Pictet de la Maison de la paix, parmi le public présent: des étudiant·e·s, notamment ceux de la volée 2022 de l'Executive Master en politiques et pratiques du développement (DPP), des membres d'ONG, des représentant·e·s des collectivités publiques genevoises, de l'IHEID et de la FGC.

Accueil à l’entrée de l’auditoire avant la conférence-débat sur le nexus. ©David Wagnières

Coopération au développement et action humanitaire représentent deux domaines de la solidarité internationale, à la fois distincts et proches. La première met l’accent sur l’approche partenariale pour lutter contre la pauvreté et améliorer les conditions de vie des populations bénéficiaires de manière durable ; la seconde opère en situation d’urgence et de crise, lors de catastrophes naturelles ou de conflits armés, pour protéger et assister les victimes, de manière neutre et impartiale. Bien qu'elles aient des objectifs, des types d’interventions et des principes d’action distincts, la question de leur articulation est discutée depuis les années 1990 et connue sous le terme de «nexus», auquel s’ajoute la dimension de la construction de la paix en 2016, à la suite du Sommet mondial sur l’action humanitaire, à Istanbul.

À la fin du 20e siècle, les liens entre elles sont devenus plus étroits en raison de leur action simultanée dans des pays où les populations sont soumises tant à la pauvreté qu’à la violence armée. Et ces dernières années, la conjonction des crises sanitaire, climatique et sécuritaire a donné une actualité supplémentaire à la discussion sur les frontières entre coopération au développement et aide humanitaire, toujours plus complexes et poreuses. Dans ces conditions, comment ajuster les pratiques? Durant la soirée, expert·e·s et professionnel·le·s des deux secteurs ont partagé leurs expériences et leurs points de vue.

«Deux institutions complémentaires»

L'événement s'est également inscrit dans les récentes démarches de consolidation du partenariat entre l'IHEID et la FGC, qui ont abouti à la réactualisation du protocole d'accord entre les deux institutions. Dans son sillage, la conférence-débat du 24 mai marque une réaffirmation des liens «profonds et anciens» entre la FGC et l'IHEID, a souligné Marie-Laure Salles, la directrice de l'Institut, en ouverture de la soirée. Elle a retracé les grandes étapes de l'histoire entre les deux organisations, qui a débuté en 1966: l'Institut africain de Genève, devenu l'Institut universitaire d'études du développement (IUED) en 1977 avant de fusionner avec l'Institut universitaire de hautes études internationales pour former l'IHEID en 2008, fut l'un des membres fondateurs de la FGC. Marie-Laure Salles a souligné à quel point, aujourd'hui encore, la FGC et l'IHEID «sont complémentaires et peuvent offrir ensemble un espace privilégié de dialogue, d’échange et d’apprentissage sur la coopération, le développement et leurs enjeux contemporains. Le thème de la conférence est d’ailleurs symbolique de cela. «Coopération au développement et aide humanitaire, les nouvelles frontières»: cette réflexion à la fois introspective et prospective participe exactement de ce qui ressort de la responsabilité commune de nos deux organisations».

Catherine Schümperli Younossian, secrétaire générale de la FGC, a détaillé les raisons qui ont motivé la FGC à ouvrir un processus de réflexion sur l’approche du nexus. Parmi elles, «le panorama bien sombre de l’état du monde» comprenant: la régression de tous les Objectifs de développement durable (ODD) après deux ans de crise sanitaire mondiale; le développement des conflits et du terrorisme dans la région du Sahel, «une dramatique montée de l’insécurité dans de nombreux pays d'Amérique latine et d'Asie et bien sûr la guerre en Ukraine»; les impacts du réchauffement climatique sur la santé des personnes, l’environnement et la production agricole, «rendant de plus en plus probable des perspectives de pénurie et aggravant encore les questions de sécurité alimentaire dans les pays vulnérables».

Pour les organisations engagées sur le terrain, dont les membres de la FGC, les réalités deviennent de plus en plus complexes et les risques sécuritaires de plus en plus élevés dans certaines régions, en particulier le Sahel. «Les contextes dans lesquels s’inscrit la coopération évoluent de manière extrêmement rapide. Ceci nous oblige à la réflexion et à interroger nos pratiques pour gagner en pertinence, en efficacité et complémentarité», a poursuivi Catherine Schümperli Younossian.

«Pour les organisations engagées sur le terrain, les réalités deviennent de plus en plus complexes et les risques sécuritaires de plus en plus élevés dans certaines régions»

Pour les membres de la FGC en particulier, la soirée avait ainsi pour but de nourrir la réflexion sur les nouvelles formes de collaboration entre acteurs de la coopération au développement, de l’aide humanitaire et de la promotion de la paix. La mise en œuvre du principe du nexus vise également «à améliorer la qualité des projets de développement», a ajouté Liliana Soler-Gomez, coordinatrice académique pour l'Amérique latine de l'Executive Master en politiques et pratiques du développement, coprésidente de la Commission technique de la FGC et modératrice de la soirée.

«Deux manifestations de la solidarité internationale» 

La conférence introductive a été donnée par Jacques Forster, professeur honoraire de l’IHEID, qui au cours de sa carrière a notamment occupé les fonctions suivantes: directeur de l'IUED, membre du Conseil de Fondation de l'IHEID, vice-président du CICR et président de Latitudes 21, la fédération neuchâteloise de coopération au développement. Durant son parcours professionnel, il a ainsi travaillé aussi bien dans le domaine du développement, à l'IUED et à la DDC par exemple, que sur le volet humanitaire au CICR. Cette riche expérience l'a conduit à publier deux ouvrages en français, Coopération Nord-Sud: la solidarité à l'épreuve, qui offrent un panorama complet de l’histoire de la coopération internationale au développement, de 1919 à nos jours. Le dernier tome, avec une vision plus prospective, est actuellement en préparation.

Jacques Forster, professeur honoraire de l’IHEID. David Wagnières

Devant le public, Jacques Forster a retracé l'historique du nexus puis définit les similitudes et différences des deux instruments (lire à ce propos son interview dans les pages spéciales de la Tribune de Genève), deux «manifestations de la solidarité internationale», notamment «proches par les valeurs qu'elles cherchent à promouvoir» mais différentes par leurs principes, leurs objectifs et leurs modes opératoires». Malgré leur proximité sur le terrain, dans les pays à faibles revenus et ceux affectés par des crises, la coopération poursuit un objectif de promotion du développement avec un agenda de transformation sociale, tandis que l'action humanitaire a une mission plus restreinte de protection de la vie et de la dignité des personnes dans les situations de crise. Le professeur a enfin détaillé comment se passent les relations sur le terrain entre les différents acteurs qui ont des compétences, des cultures et des métiers différents.

Partage d'expériences et de points de vue

Derek Müller, chef de la division MENA-D et responsable des questions concernant la fragilité, les conflits et les droits de l'homme à la Direction du développement et de la coopération (DDC) du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), Robert Messe, participant de l'Executive Master en politiques et pratiques du développement (DPP'22) et administrateur en charge du terrain pour l’UNHCR au Tchad et Dominique Rossier, présidente de la FGC et chargée d’enseignement à l’IHEID, ont ensuite rejoint Jacques Forster sur l'estrade pour un débat permettant de partager les points de vue.

Derek Müller a expliqué que la DDC travaille sur les enjeux liés au double nexus depuis plusieurs années. «C'est la question du triple nexus (coopération, action humanitaire et promotion de la paix) qui nous occupe de plus en plus. Nous avons précisément l'ambition de ne pas rester dans le double nexus, mais d'être un acteur du triple nexus». S'agissant de la paix, les chantiers de la construction d'institutions inclusives, de justice sociale et de prévention des conflits, mises en oeuvre par l'ODD 16, font partie du mandat de la DDC. Au sujet des défis, Derek Müller a expliqué que pour faire «de manière sérieuse le travail de développement, il faut trouver la bonne formule pour appliquer de façon adéquate les instruments du développement, de l'humanitaire et de la paix selon le contexte du pays d'intervention; il s'agit d'analyser selon les trois perspectives quelle est la situation, quels sont les besoins et quels sont les instruments que l'on applique afin de trouver la bonne formule. Un autre défi reste la qualité des projets et la reconnaissance de la part des partenaires sur place et du public en Suisse de la qualité de l'aide au développement».

De gauche à droite: Jacques Forster, Derek Müller, Robert Messe, Dominique Rossier et Liliana Soler-Gomez.

Pour Robert Messe, qui a fait son travail de master sur le Niger, «le nexus est une façon de travailler, de travailler ensemble». Dans les pays du Sud, le principal défi consiste, même lorsque la volonté gouvernementale et internationale est présente, à faire collaborer les différents acteurs humanitaires et de développement au niveau opérationnel. «La coordination et la mise en commun entre des acteurs qui ne partagent pas les mêmes visions constitue le principal enjeu sur le terrain», a-t-il souligné. Sans compter, sur le terrain également, que plusieurs acteurs (les bénéficiaires, les responsables des ONG ou les autorités locales) sont souvent peu ou mal informés sur le concept du nexus, ce qui représente un obstacle pour sa mise en oeuvre.

Enfin, Dominique Rossier a rappelé que les crises politiques, sécuritaires, sanitaires ainsi que l'impact du changement climatique intensifient «la nécessité pour la FGC de réfléchir sur le sens et l'efficacité de nos actions». Les organisations membres de la Fédération ont expérimenté la mise en pratique du nexus lors de la pandémie de Covid-19: «Celle-ci a poussé certaines d'entre elles à différer des activités et à agir rapidement, avec une grande flexibilité, ce qui est normalement l'apanage de l'action humanitaire, par exemple en distribuant des semences, des vivres, des kits sanitaires. La crise du Covid-19 a ainsi contribué à modifier les frontières entre développement et humanitaire. Au delà de la pandémie, les nouvelles situations nous obligent à prendre de nouvelles responsabilités et à faire évoluer nos positions et nos pratiques». L'expérience aquise avec la pandémie a montré que l'analyse du contexte, des partenariats et des risques - récemment renforcée dans les dossiers de projets - devrait encore être intensifiée: «Cela permet d'être prêt à travailler en cas de crise», a-t-elle conclu.

Prochaine parution du Réflexions et Débats

Les réflexions développées lors de la conférence-débat feront l'objet du prochain numéro de la revue Réflexions et Débats, publiée par la FGC. Cette édition permettra d'approfondir la thématique, de montrer comment les ONG l'abordent sur le terrain et de mieux  cerner encore les défis qui attendent les acteurs de la coopération au développement dans les années à venir.

Regardez la conférence-débat en replay

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